ID-10025041Interdiction de concurrence et savoir­-faire (1ère partie)

Les contrats de franchise et dérivés de ces contrats de distribution (« contrat de partenariat » ou « licence d’enseigne et d’assistance » par exemple) prévoient quasiment tous un dispositif contractuel destiné à interdire ou limiter la poursuite de l’activité du franchisé à la cessation du contrat. Ces restrictions à la liberté d’exploiter se nomment tantôt clause de non concurrence, tantôt clause de non affiliation.

Si ce dispositif s’est banalisé, son efficacité tend à se réduire de plus en plus.

Un mot sur la clause dite de «non affiliation»

Variante atténuée de la non concurrence elle ne fait pas obstacle à la poursuite d’activité, mais interdit d’adhérer à un autre réseau ou enseigne nationale concurrente. On fera observer que le maintien de l’activité sans enseigne nationale est souvent une alternative illusoire, la clause revenant, de fait, à condamner l’exploitation pour le futur (on pense notamment aux secteurs d’activité qui se concentrent entre les mains d’enseignes nationales tels que la distribution alimentaire, le prêt­à­porter, et beaucoup d’autres)

Appréciée avec une relative tolérance par les juges, la tendance est aujourd’hui d’aligner le régime de validité des clauses de non concurrence sur celui de la non affiliation, qu’on se le dise !

Rappelons que la validité de ces clauses est conditionnée par la réunion des

conditions classiques suivantes :

  • Limitation dans l’espace, et dans le temps.
  • Principe de spécialité : l’activité interdite doit être déterminée avec précision.
  • Principe de proportionnalité : l’interdiction doit demeurer proportionnelle aux intérêts qu’elle est censée protéger.

S’agissant de l’exigence d’une contrepartie telle qu’elle existe pour le contrat de travail depuis 2002, elle n’est pas transposée dans les contrats de distribution. Cependant, dans une décision très remarquée du 9 octobre 2007, la Cour de cassation a pour la première fois estimé que la clause de non concurrence imposée à un franchisé « qui le dépossède de sa clientèle lui cause nécessairement un préjudice qu’il convient d’indemniser ».

Aux critères classiques de validité, la réglementation européenne est venue préciser le régime des clauses de non concurrence dans les accords de distribution. Le Règlement CE n°2790/1999 du 22 décembre 1999 relatif aux accords verticaux et pratiques concertées dispose que les contrats contenant des clauses restrictives de concurrence n’échappent à l’interdiction des ententes (article 81 du traité de Rome) que dans la mesure où la clause respecte quatre conditions cumulatives :

1) L’obligation doit concerner des biens ou des services qui sont en concurrence avec les biens ou services objet du contrat, (ici critère classique de la limitation sectorielle)

2) Elle doit être limitée aux locaux et aux terrains à partir desquels l’acheteur a opéré pendant la durée du contrat, (limitation spatiale, classique également)

3) Elle doit être limitée à 1 an à compter de l’expiration du contrat (limitation temporelle, classique également)

4) Elle doit être indispensable à la protection d’un savoir­-faire transféré par le franchiseur (critère de nécessité)

Deux observations :

Première observation, sur l’intérêt du règlement d’exemption comme référence : les juges internes s’y réfèrent régulièrement, bien que le texte ne trouve pas à s’appliquer systématiquement à tous les opérateurs et vise seulement à faire perdre le bénéfice d’une exemption au titre de l’interdiction des ententes sans instaurer de nullité automatique de la clause incriminée. On retiendra surtout que le droit européen de la concurrence imprègne de façon profonde notre jurisprudence interne, de nombreuses décisions de tribunaux et arrêts de Cours se fondent sur ce texte pour apprécier la validité ou non de la clause indépendamment de tout examen préalable de l’applicabilité du droit communautaire au cas considéré.

Deuxième observation, La légitimité de la clause est rapportée à la notion de savoir­ faire, propre à la franchise, et cela impose de s’attacher à l’examen du contenu du savoir faire, pour chaque affaire et au cas par cas. L’existence d’un savoir faire ne suffit pas de plus à légitimer en soi la clause ; elle ne doit être imposée que dans le cas où il n’existe pas d’autre moyen de protection. Ces observations étant faites, l’appréciation du savoir faire, et donc le caractère nécessaire de sa protection, reste une appréciation de fait quelque peu délicate pour les juges qui, souvent, s’en sont tenus à l’affirmation de l’existence matérielle de normes ou de supports techniques sans rechercher plus avant la valeur véritable du contenu. La jurisprudence a fait par le passé peu d’application du critère de nécessité, ayant eu tendance à admettre la validité de la clause dès lors qu’elle apparaît limitée dans les trois espaces (temporel, spatial, sectoriel) sans rechercher véritablement s’il existe un savoir faire distinctif et si sa protection justifie l’application indispensable de la clause.

En pratique et pour être honnête, les clauses de non concurrence visent surtout à dissuader le franchisé de quitter le réseau et n’a pas la finalité légitime prescrite de protection du savoir faire. Or, c’est cet effet anti concurrentiel qui est interdit par la loi, ce que beaucoup ignorent encore. Il semble qu’un courant de jurisprudence se montre de plus en plus attentif au respect des critères, notamment sous l’influence du droit européen. On retiendra que la généralisation des clauses de non concurrence dans tous les contrats de distribution a fini par leur faire perdre légitimité et efficacité. Elles sont systématiquement contestées, et peu respectées, alors qu’au final elles sont l’expression de la loyauté à laquelle s’engagent les parties au contrat. Pour les maintenir, les franchiseurs doivent justifier d’un savoir faire distinctif, qui a constitué un avantage économique réel au profit du franchisé et dont ce dernier ne doit pas détourner à son profit ou au profit d’une enseigne concurrente. Nous examinerons

dans un deuxième volet (à paraître dans l’édition du 26 décembre) le contrôle étroit que pose la jurisprudence à l’admission de la validité des clauses, et les mécanismes contractuels que les franchiseurs instaurent de plus en plus souvent pour maintenir un niveau de protection de leur savoir faire.

(à suivre)